La biodiversité du Québec n’échappe pas aux impacts des activités anthropiques. En effet, depuis la colonisation par les Européens au 17
e siècle, le paysage québécois a subi de grandes modifications environnementales (
Jones 1942;
Danneyrolles et al. 2016), lesquelles se sont intensifiées depuis les années 1960 (
Jobin et Brodeur 2023). Par exemple, le sud du Québec, qui était autrefois recouvert de forêts matures, est maintenant dominé par des paysages agroforestiers et de vastes étendues urbaines (
Bélanger et Grenier 2002;
Jobin et al. 2003;
Jobin et Brodeur 2023). Déjà, par le passé, la surexploitation a conduit à la disparition de certaines espèces, telles que la tourte voyageuse (
Ectopistes migratorius,
Bucher 1992) ou le grand pingouin (
Pinguinus impennis,
Thomas et al. 2019). De nos jours, la perte d'habitat constitue un moteur important de déclin des populations, au point où certaines espèces sont menacées d'extinction [p. ex. hibou des marais,
Asio flammeus,
COSEPAC 2021; rainette faux-grillon de l'ouest,
Pseudacris triseriata,
COSEPAC 2008] ou en voie d'extinction. C'est le cas du caribou des bois,
Rangifer tarandus, de la population de la Gaspésie-Atlantique (
COSEPAC 2014a), du chevalier cuivré,
Moxostoma hubbsi (
COSEPAC 2014b) et du ginseng à cinq folioles,
Panax quinquefolius, (
COSEPAC 2000). Le Québec se doit donc d'adopter des outils efficaces de conservation pour protéger les espèces en situation précaire, tant à l’échelle locale que nationale, afin d’éviter leur disparition à court ou moyen terme.
La législation canadienne
Au fédéral, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), initialement mis sur pied en 1977, évalue le statut des espèces sauvages. Il s'agit d'un comité consultatif indépendant composé d'experts scientifiques de plusieurs provinces et territoires du pays provenant de divers milieux (universitaire, autochtone, organisations gouvernementales et non gouvernementales et secteur privé). À la suite du sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992, le gouvernement canadien a adopté, en 2002, la Loi sur les espèces en péril (LEP) afin de protéger la biodiversité indigène. Cette loi a pour objectif de protéger les espèces sauvages en situation précaire et leurs habitats partout au Canada (
LEP 2002). En effet, selon le cadre de l'Accord national pour la protection des espèces en péril (
BVG 2023), convenu en 1996 par les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables des espèces sauvages, la LEP s'applique sur tous les territoires canadiens. Elle permet notamment la prise de mesures en l'absence de lois provinciales et territoriales visant à protéger efficacement les espèces en situation précaire ainsi que leurs habitats. Fait à signaler, bien que le Québec supporte les objectifs de cet Accord, il ne l'a pas signé officiellement.
La LEP identifie le COSEPAC en tant que comité consultatif indépendant ayant pour rôle de fournir des recommandations scientifiques d'experts sur lesquelles le ou la gouverneur(e) en conseil s'appuie pour dresser la liste officielle des espèces sauvages en situation précaire qui seront protégées en vertu de la LEP. Il est important de souligner qu'une évaluation d'une espèce à risque par le COSEPAC n'est pas automatiquement suivie de l'ajout de cette espèce à l'annexe 1 de la LEP. Cette annexe présente la liste officielle des espèces sauvages en péril au Canada. Les espèces y sont classées selon les catégories suivantes : disparue du pays, en voie de disparition, menacée ou préoccupante (
Encadré 1). Une fois une espèce indigène inscrite à l'annexe 1 de la LEP (soit une espèce, sous-espèce, variété ou population géographiquement ou génétiquement distincte d'animaux, de végétaux ou d'autres organismes d'origine sauvage, sauf une bactérie ou un virus), des mesures de protection et de rétablissement sont mises en œuvre. Lors de l'adoption de la LEP en 2002, les 233 espèces qui avaient été précédemment jugées en danger par le COSEPAC entre 1978 et 2001 ont été réévaluées. Cette réévaluation a été basée sur des critères quantitatifs légèrement modifiés à partir de ceux développés par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et toutes ces espèces ont été inscrites à l'annexe 1 (
LEP 2002, art. 42,
Waples et al. 2023). Actuellement, le COSEPAC se réunit deux fois par année pour évaluer la situation des espèces sauvages en péril. Ses recommandations sont ensuite communiquées au ou à la ministre responsable qui doit les transmettre au ou à la gouverneur(e) en conseil. À noter qu'il n'y a aucune date limite pour procéder à cette action ministérielle. Par la suite, le ou la gouverneur(e) en conseil agit sur l'avis du cabinet et est responsable de prendre les décisions d'inscription (ou non) sur la liste des espèces en péril (
LEP 2002, art. 27). Les rapports de situation et les recommandations du COSEPAC sont rendus publics, en français et en anglais, dans les quelques semaines ou mois suivant ces réunions. Il est important de noter que les évaluations scientifiques produites par le COSEPAC n'ont aucun poids juridique. Le gouvernement canadien peut soit accepter d'inscrire une espèce à l'annexe 1, soit décliner la recommandation, soit exiger plus de précisions sur des questions spécifiques afin de prendre une décision mieux éclairée (
LEP 2002, art. 24–31;
Mooers et al. 2010). Dans les cas où une recommandation n'est pas suivie, le gouvernement doit en expliquer la raison au public (
LEP 2002, art. 24–31;
Olive 2014).
Lorsqu'une espèce est inscrite à l'annexe 1, la responsabilité de la mise en œuvre de la LEP est partagée entre différents ministères. Le ministre des Pêches et des Océans (MPO) s'occupe de la protection des espèces aquatiques et le ministre de l'Environnement et du Changement climatique (MECC), également responsable de Parcs Canada (PC), supervise la protection des espèces terrestres au Canada (
LEP 2002, art. 32–36;
Smallwood 2003). Pour assurer la protection des espèces en péril, la LEP
interdit de tuer, de harceler, de nuire, de capturer, de prendre, de posséder, de collectionner, d’
acheter, de vendre ou d’échanger un individu d'une espèce sauvage disparue du pays, en voie de disparition ou menacée inscrite à l'annexe 1 (LEP, art. 32). Elle interdit également
d'endommager ou de détruire sa résidence (par exemple une tanière ou un nid) (LEP, art. 33)
. Ces interdictions s'appliquent sur l'ensemble du territoire domanial situé dans une province ou sur le territoire relevant de l'autorité du ministre responsable du MECC ou de PC. Elles s’étendent aussi à toutes les espèces d'oiseaux protégées par la Convention concernant les oiseaux migrateurs ainsi qu’à toutes les espèces aquatiques sur les terres privées, les terres provinciales et les terres au sein d'un territoire. La LEP introduit aussi la notion d'habitat essentiel (LEP, art. 58), soit l'habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement d'une espèce disparue du pays, en voie de disparition ou menacée inscrite à l'annexe 1. Cet habitat essentiel est défini dans les programmes de rétablissement ou les plans d'action de l'espèce. Il est protégé par des mesures volontaires et des mesures de bonne intendance. Si de telles mesures ne suffisent pas, des interdictions contre la destruction des habitats essentiels peuvent être appliquées. Hors du territoire domanial du gouvernement fédéral, les interdictions prévues par la LEP peuvent être étendues, par décret, aux terres privées, aux terres provinciales ou territoriales lorsque les lois en vigueur dans ces juridictions ne protègent pas de manière efficace l'espèce en question ou sa résidence.
La législation québécoise
Le Québec figure parmi les sept provinces et territoires à disposer d'une législation pour assurer la conservation des espèces en situation précaire (
Olive 2014;
ECCC 2019;
ECELAW 2022). En effet, le Québec est la deuxième province, après l'Ontario, à avoir adopté une loi provinciale pour la protection des espèces à statut précaire. Lors du sommet québécois sur la faune de 1988, 23 organismes représentant l'ensemble des intervenants sur les espèces fauniques et leurs habitats ont pris position pour que le Québec adopte une législation provinciale pour la protection des espèces en situation précaire (
Gouvernement du Québec 1992).
Ainsi, l'Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables en 1989 (
LEMV 1989). La Politique québécoise sur les espèces menacées ou vulnérables (ci-après nommée la « Politique ») a quant à elle été adoptée en 1992 (
Gouvernement du Québec 1992). Elle permet notamment de définir le cadre d'application de la LEMV, incluant les aspects administratifs, et elle précise le processus de désignation des espèces, de même que le rôle et la composition des deux Comités aviseurs, qui évaluent le statut des espèces floristiques et fauniques susceptibles d’être désignées.
L'objectif général de la LEMV (voir
Encadré 2) et de sa Politique d'application est d'assurer la sauvegarde de l'ensemble de la diversité génétique sauvage du Québec en protégeant les espèces en situation précaire. Sur la recommandation du ou de la ministre responsable, et après consultation des autres ministres au gouvernement, cette loi permet de désigner comme espèce menacée ou vulnérable toute espèce qui le nécessite. Elle permet aussi de caractériser les habitats des espèces désignées, selon leurs particularités biologiques. Finalement, elle permet la mise en place de programmes favorisant la viabilité de ces espèces. Au niveau provincial, les espèces en situation précaire sont divisées en deux catégories principales, soit menacées ou vulnérables. Les définitions de chacune de ces catégories ne sont pas équivalentes à celles des statuts fédéraux (
Encadré 1;
Gouvernement du Québec 1992). Le gouvernement tient aussi à jour une liste des espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables. Bien que la LEMV n'offre pas de protection juridique particulière aux espèces qui y figurent, celles-ci, ainsi que leurs habitats, sont pris en compte dans la procédure générale d'autorisation de projets de développement en vertu des articles 22 et 31 de la Loi sur la qualité de l'environnement (LQE). À ce jour, 96 espèces végétales et animales ont été désignées à titre d'espèces menacées et 55 à titre d'espèces vulnérables au Québec (
Tableau 1). En outre, 537 espèces sont inscrites sur la Liste des espèces floristiques et fauniques susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables (
Gouvernement du Québec 2023a).
La LEMV permet la désignation d'espèces tant floristiques qu'animales. Elle peut s'appliquer à toutes les espèces, autres que domestiques, qui accomplissent une partie significative de leur cycle vital au Québec (
Gouvernement du Québec 1992). Actuellement, c'est le ministère de l'Environnement, de la Lutte aux changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) qui est responsable de l'application de la législation québécoise sur la protection des espèces floristiques et fauniques en situation précaire. Cependant, historiquement les espèces floristiques et fauniques ont été gérées par deux ministères différents, ce qui explique que l'encadrement légal des deux grands groupes taxinomiques diffère.
Pour les espèces floristiques, c'est la LEMV qui s'applique directement. Celle-ci précise qu'il est interdit de posséder hors de son milieu naturel, récolter, exploiter, mutiler, détruire, acquérir, céder, offrir de céder ou manipuler génétiquement tout spécimen (d'une espèce désignée menacée ou vulnérable) ou l'une de ses parties (art. 16). Cependant, c'est le Règlement sur les espèces floristiques menacées ou vulnérables et leurs habitats (REFMVH-flore), lequel découle de la LEMV, qui identifie les espèces végétales désignées et les habitats floristiques. La LEMV définit le niveau de protection de ces habitats en précisant (art. 17) que nul ne peut, dans l'habitat d'une espèce floristique menacée ou vulnérable, exercer une activité susceptible de modifier les processus écologiques en place, la diversité biologique présente et les composantes chimiques ou physiques propres à cet habitat sauf exceptions. La LEMV prévoit des exemptions ainsi qu'un régime d'autorisation à l'application des interdictions figurant aux articles 16 et 17, par exemple dans le cas d'interventions liées à la sécurité publique ou à des activités exclues ou régies par le REFMVH-flore ou en vertu d'un pouvoir discrétionnaire accordé au ou à la ministre (LEMV, art.16–19).
Pour les espèces fauniques, c'est le Règlement sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables et leurs habitats (REFMVH-faune), découlant aussi de la LEMV, qui dresse la liste des espèces désignées et permet la caractérisation de leurs habitats. La LEMV (art. 5) renvoie à la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la Faune (LCMVF) pour la protection de cet habitat. La LCMVF prévoit en effet à l'article 128.6 qu'il est interdit, dans un habitat faunique de
faire une activité susceptible de modifier un élément biologique, physique ou chimique propre à l'habitat de l'animal ou du poisson visé par cet habitat. Les articles 128.2 à 128.5 de la LCMVF permettent de délimiter cet habitat par un plan cartographié (
LCMVF 2002). L'habitat des espèces menacées ou vulnérables fait partie de la liste des habitats pouvant être protégés par la LCMVF. Cette protection est encadrée par le Règlement sur les habitats fauniques (RHF) qui décrit les activités pour lesquelles celle-ci ne s'applique pas ainsi que les modalités qui permettent une intervention dans l'habitat d'une espèce désignée. Que l'habitat soit cartographié ou non, cette protection est limitée par un certain nombre d'exceptions. Elle ne s'applique pas aux activités exclues par règlement ou réalisées conformément aux normes ou conditions d'intervention déterminées par le règlement ainsi qu’à certains cas particuliers, par exemple,
une activité nécessaire afin d’éviter, de limiter ou de réparer un préjudice causé par un sinistre.
La LEMV s'applique aux espèces floristiques et fauniques tant en terres privées qu'en terres publiques. Toutefois, pour la faune, bien que la description des habitats des espèces désignées dans le REMVH-faune pourrait permettre leur protection en terres privées, l'article 1 du RHF limite l'application de ces mesures aux terres publiques. Une modification de ce règlement permettrait de répondre à cet enjeu de protection pour les espèces fauniques en situation précaire en terres privées.
Processus de désignation des espèces menacées ou vulnérables au Québec
La désignation officielle de certaines espèces sauvages comme menacées ou vulnérables comprend plusieurs étapes (
Fig. 1). La liste des espèces floristiques et fauniques susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables est établie par le personnel du MELCCFP et mise à jour de façon périodique, en fonction de la disponibilité des rapports de situation. La liste se base aussi sur les rangs de précarité, nommés rangs S, des espèces évaluées selon la méthodologie standardisée utilisée par NatureServe (
Faber-Langendoen et al. 2012). Ce rang est établi en consultant les données scientifiques disponibles, des études publiées dans des périodiques spécialisés ainsi que dans des rapports gouvernementaux (p. ex. résultats d'inventaires et de suivis) évalués par les pairs. Il se définit selon une classification en cinq points allant de « en danger critique » (1) à « en sécurité » (5) et en fonction d'une échelle géographique : mondiale (G), nationale (N) et sous-nationale (S) (
Faber-Langendoen et al. 2012). Au Québec, le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ) est responsable de l'attribution des rangs de précarité (
Gouvernement du Québec 2023c, chapitre E-12.01, a. 10). Ce centre est aussi responsable de rassembler les données sur les espèces fauniques et floristiques en situation précaire provenant de diverses sources, de les analyser, de diffuser l'information et de fournir une expertise scientifique (
Cision Canada 2023b).
Deux Comités aviseurs indépendants ont le mandat d’évaluer la situation des espèces en situation précaire; un dédié à la faune et l'autre à la flore. Selon la Politique (
Gouvernement du Québec 1992), chacun de ces comités est composé de sept membres nommés par le ou la ministre, soit trois membres de la communauté scientifique, trois membres issus d'organisations non gouvernementales ou d'institutions (p. ex. des organismes de conservation) et une personne représentant le ministère qui coordonne le comité. Les évaluations du comité sont réalisées à partir de différentes sources d'information, incluant des rapports de situation, des banques de données d'inventaires et de suivis, des articles scientifiques publiés, des avis d'experts, les rangs S, etc. Les rapports de situation proviennent de différents groupes d'experts et incluent des articles scientifiques, des rapports gouvernementaux provinciaux et fédéraux et des rapports de situation du COSEPAC. Ceux-ci contiennent des données scientifiques sur la biologie des espèces, la taille des populations et leurs tendances démographiques au Québec ainsi que sur la disponibilité et la qualité des habitats utilisés. En outre, les facteurs limitant le rétablissement des espèces identifiées en situation précaire sont décrits. En revanche, contrairement au processus fédéral, il n'existe pas de critères quantitatifs précis pour évaluer si la situation des espèces considérées correspond aux définitions de statuts prévues par la politique québécoise (
Encadré 2). Les membres du Comité aviseur doivent alors se fier à leur propre expertise, consulter des experts de certaines espèces et se référer aux critères retenus par le COSEPAC ainsi qu'aux rangs S pour appuyer leur évaluation. Lors de ces rencontres, le Comité aviseur émet une recommandation basée sur l'avis des membres pour chacune des espèces évaluées et précise les raisons justifiant cette recommandation. Les statuts recommandés et leurs justifications sont ensuite transmis au ou à la sous-ministre responsable qui prendra la décision de retenir (ou non) les recommandations du comité.
Si la recommandation n'est pas retenue, le processus s'arrête sans aucune autre communication formelle ou publique quant aux raisons justifiant le rejet. Si une recommandation est retenue, des consultations avec les communautés autochtones et interministérielles doivent être organisées afin d’évaluer les enjeux potentiels, incluant les enjeux socio-économiques, liés à la désignation de l'espèce. Ensuite, un projet de modification au REFMVH-flore ou au REFMVH-faune est élaboré et publié à la Gazette officielle du Québec pour une période de consultation publique de 45 jours. Il s'agit de la seule étape faisant l'objet d'une échéance prévue et d'une divulgation publique dans l'ensemble du processus. Après cette étape, la modification réglementaire doit être approuvée par le Conseil des ministres et une version doit en être prépubliée dans la Gazette officielle du Québec avec une entrée en vigueur le quinzième jour suivant sa publication (
Gouvernement du Québec 2023b, art. 5).
Lorsqu'une espèce devient officiellement désignée, le ministère responsable peut mettre en place une équipe de rétablissement (
Fig. 2), mais il n'en a pas l'obligation. Cette équipe a pour mandat de produire et de mettre en œuvre un plan de rétablissement, lequel présente les objectifs, les mesures et les actions recommandées pour favoriser le rétablissement d'une espèce désignée comme menacée ou vulnérable. Cette équipe se compose de membres provenant de divers milieux, incluant, dans certains cas, l'industrie. Ces membres, choisis en raison de leurs compétences et de leurs intérêts, participent activement à l’élaboration et à la mise en œuvre du plan. Le Plan de rétablissement est d'une durée de 10 ans. Un bilan de mi-parcours peut être préparé dans de rares cas. Des informations détaillées sur les différentes étapes du processus sont disponibles dans le Cadre de référence des équipes de rétablissement de 2015 (
Gauthier 2015).
Recommandations pour éliminer les barrières à la désignation des espèces et à l'application de la législation
Depuis leur entrée en vigueur, la LEMV et l'application de sa Politique ont été sévèrement critiquées à de multiples reprises par les scientifiques et les organismes de conservation pour leur inefficacité à protéger et à rétablir les espèces en situation précaire et leurs habitats (
Radio-Canada 2016;
Le Devoir 2022;
Radio-Canada 2022;
St-Laurent et al. 2022). Plusieurs des répondants et répondantes consultés lors de la rédaction du Livre blanc pour la protection de la biodiversité au sud du 49
e parallèle ont mentionné que la législation fédérale sur les espèces en situation précaire est plus complète que celle du Québec (
Auzel et al. 2021). Même le vérificateur général du Québec a souligné, en 2016, que le Québec tardait à respecter ses propres engagements concernant la protection de la biodiversité (
Commissaire au développement durable 2016). Lors de la 15
e Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, qui s'est tenue à Montréal en décembre 2022, le fonctionnement du processus de désignation—notamment le fait qu'aucune rencontre du Comité aviseur sur le volet faunique n'avait été tenue depuis janvier 2017 – a aussi été fortement critiqué (
La Presse 2022). En outre, entre 2009 et 2023, le gouvernement provincial n'avait procédé à aucune modification réglementaire pour désigner de nouvelles espèces fauniques. Ce n'est qu'en juin 2023 qu'une mise à jour du REFMV-faune était finalement publiée (
Gouvernement du Québec 2023b). Au total, 27 espèces ont été ajoutées à la liste des espèces désignées, dont 16 espèces désignées menacées et 11 espèces désignées vulnérables (
Tableau 1).
Trois des principaux obstacles à la protection des espèces sauvages en situation précaire au Québec sont l'absence de transparence, la lenteur du processus de désignation et le manque d'imputabilité du ou de la ministre responsable face aux décisions relevant de ce processus. En effet, l'expérience montre qu'entre le moment où la situation d'une espèce est évaluée et celui où un statut légal est adopté dans le règlement, les délais sont très longs. La législation québécoise ne précise aucune durée pour chacune des différentes étapes du processus de désignation, sauf pour l'affichage du projet de règlement (étape 10,
Fig. 1). Elle n'impose pas non plus l'obligation d'expliquer et de rendre publiques les raisons qui motivent le rejet d'une désignation recommandée par l'un ou l'autre des Comités aviseurs. En outre, le gouvernement n’étant légalement pas tenu de respecter d’échéances prédéterminées, chacune des étapes du processus de désignation (
Fig. 1) peut être retardée pour des raisons économiques, sociales ou politiques, et ce, sans justification. À titre d'exemple, entre 2013 et 2023, les activités du Comité aviseur sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables ont été suspendues, à l'exception de deux rencontres en 2016 et 2017, le gouvernement invoquant alors des motifs budgétaires pour justifier cette interruption. Il est à noter que les membres siégeant au sein des comités conseillers exercent leurs fonctions de façon entièrement bénévole ou sont libérés par leur institution d'attache pour siéger au comité. Ces rencontres n'engendrent que très peu de coûts lorsqu'elles sont tenues virtuellement. Cette interruption représente un retard de près d'une décennie dans l’évaluation des statuts des espèces, ce qui est seulement la première étape du processus de désignation. Ce retard peut donc causer un ralentissement majeur avant d'atteindre l'ultime étape de l'implémentation de mesures de protection adaptées aux besoins d'espèces identifiées, au meilleur des connaissances, comme étant en situation précaire. En raison de cette lenteur et dans certains cas urgents, des équipes de rétablissement ont dû être mises en place avant que la désignation soit effective.
Notre première recommandation est donc d'instaurer l'obligation légale de rendre publiques et transparentes toutes les étapes d'identification et de désignation des espèces menacées ou vulnérables (recommandations #1,
Encadré 3). Une prise en compte plus explicite et transparente des priorités concurrentes des pouvoirs publics est essentielle afin d'assurer l'imputabilité des divers acteurs impliqués (
Carroll et al. 1996). En effet, le gouvernement peut décider, pour des raisons politiques, sociales ou économiques, de ne pas suivre les recommandations de ses experts. Or, puisque celles-ci sont confidentielles et qu'aucune mesure légale n'impose aux décideurs de divulguer l'information, la population est tenue dans l'ignorance. Ce manque de transparence nuit aussi au fonctionnement des Comités aviseurs puisque les experts, en voyant les recommandations scientifiques ignorées depuis des décennies, se questionnent sur l'utilité du processus et sur leur implication bénévole au sein de structures administratives aux processus lourds et inefficaces. Ceux-ci se retrouvent également dans une situation incohérente lorsqu'ils doivent siéger au sein d'un comité du gouvernement québécois qui ne se conforme pas aux exigences de transparence qui sont exigées pour la diffusion de leurs travaux et données de recherche par le même gouvernement (
FRQ 2022). Le Québec accuse d'ailleurs un retard comparativement à d'autres provinces et territoires, ainsi que face au gouvernement fédéral, concernant la transparence de son processus décisionnel en ce qui a trait aux questions environnementales. Il est bien connu que les principes de la science ouverte sont cruciaux afin de promouvoir les valeurs d’équité et d'inclusion de notre société (
Bureau du conseiller scientifique en chef du Canada 2020). Néanmoins, à l'heure actuelle au Québec, il n'est pas possible pour la communauté scientifique, les communautés autochtones, les organismes de conservation ou les citoyens de connaître la liste des espèces qui ont été évaluées, de prendre connaissance des recommandations faites par ces comités ainsi que de connaître et de porter un jugement sur les éléments sur lesquels reposent ces recommandations et les décisions rendues. De là l'importance de notre première recommandation (
Encadré 3).
Notre deuxième recommandation est de revoir en profondeur la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune ainsi que les règlements qui en découlent afin que le ou la ministre responsable ait non seulement le pouvoir de les appliquer, mais aussi l'obligation d'exercer les responsabilités que ces lois lui confèrent en matière de protection des espèces en situation précaire (
Encadré 3). Par exemple, dans le cadre du processus de désignation au fédéral, après communication avec le ou la gouverneur(e) en conseil, le ou la ministre ne dispose que de neuf mois pour prendre une décision. Si ce délai s’écoule sans décision finale, l'espèce est inscrite d'emblée sur la liste de la LEP avec le statut recommandé par le COSEPAC (
LEP 2002;
Olive 2014;
Turcotte et al. 2021). Il arrive toutefois que les délais soient prolongés, notamment lorsque les espèces concernées ont une grande valeur socio-économique (
Hutchings et Festa-Bianchet 2009). Il n'y a en revanche pas de délais prédéterminés pour définir l'habitat essentiel d'une espèce menacée ou vulnérable. Un audit récemment effectué par le commissaire à l'environnement et au développement durable du Canada a d'ailleurs conclu que le gouvernement fédéral n'agissait pas de façon proactive pour fournir au ministre de l'Environnement et du Changement climatique du Canada des conseils en temps voulu sur le recours aux pouvoirs discrétionnaires d'urgence à sa disposition pour protéger les espèces sauvages en péril et leur habitat (BVG
2023). En revanche, le gouvernement fédéral dispose de 180 jours pour émettre un arrêté ministériel dans la Gazette du Canada une fois l'habitat essentiel défini, et, dans certains cas, cartographié, dans le cadre du Programme fédéral de rétablissement d'une espèce officiellement désignée. À défaut, il doit produire une déclaration énonçant comment l'habitat essentiel, ou une partie de celui-ci, est protégé légalement dans le Registre public des espèces en péril. D'ailleurs, les limites identifiées dans le processus fédéral (
Findlay et al. 2009;
Hutchings et Festa-Bianchet 2009;
Mooers et al. 2010;
Turcotte et al. 2021) devraient aussi être considérées dans une révision de la législation québécoise.
Plusieurs études ont déjà souligné que la lenteur d'un processus de désignation peut réduire les probabilités de succès des efforts de conservation (
Kraus et al. 2021;
Turcotte et al. 2021). Il est donc essentiel que la législation québécoise soit modifiée de manière à inclure des délais légaux plus stricts concernant la procédure de désignation (recommandation #3,
Encadré 3). Le cas de la population de la Gaspésie-Atlantique du caribou des bois (
Rangifer tarandus caribou) illustre bien la problématique liée à la lenteur du processus. Bien que cette population ait été initialement désignée au fédéral dans les années 1980, le gouvernement du Québec a mis plus de 20 ans à lui attribuer un statut de protection. Pendant ce temps, ses effectifs n'ont cessé de décliner, au point où la viabilité de cette population est aujourd'hui largement compromise (
Frenette et al. 2020). Le déclin de la population perdure malgré sa désignation à titre d'espèce vulnérable en 2001 et d'espèce menacée en 2009 et malgré les efforts en faveur de son rétablissement (
Fig. 3). Le dépôt d'une stratégie pour le rétablissement du caribou forestier, qui inclut la population de la Gaspésie, est d'ailleurs toujours attendu en mars 2024. Une situation similaire s'est produite dans le cas de trois espèces de chauves-souris lors de l'arrivée du Syndrome du Museau blanc au Québec (
Mainguy et al. 2011;
Gouvernement du Québec 2016). Leur désignation au Québec a été retardée jusqu'en 2023 bien que le statut en voie de disparition ait été attribué en 2013 au fédéral (
COSEPAC 2013). Étant donné les déclins importants et rapides, une équipe de rétablissement a été formée et un plan de rétablissement a été produit avant la désignation de l'espèce. Cependant, il s'agit là d'une mesure exceptionnelle et la majorité des espèces en situation précaire sont affectées par la lenteur du processus de désignation. Leurs cas ne seront pas discutés dans cet article puisque le contenu des rencontres et les recommandations des Comités aviseurs sont tenus confidentiels au Québec. Bien que la confidentialité du processus ne soit pas exigée par la LEMV ou dans l'application de la Politique, sauf pour de rares exceptions récentes, elle semble imposée d'emblée en vertu d'une interprétation administrative de la Loi québécoise sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
La notion d'habitat « essentiel », telle que définie par la LEP à l’échelle du Canada, n'existe pas dans la législation québécoise, ce qui représente une faiblesse majeure. La LEP stipule en effet qu'il est illégal de détruire toute partie de l'habitat essentiel d'une espèce en péril et la portée de cette interdiction n'est pas atténuée par un ensemble d'exceptions comme c'est le cas avec le RHF. En outre, elle confère au ou à la ministre fédéral(e) le pouvoir d'imposer des restrictions aux projets de construction, de développement et d'aménagement du territoire. Sans une telle notion et une législation provinciale claire et rigoureuse associée, le Québec se prive d'outils indispensables pour la conservation de ses espèces fauniques et floristiques en situation précaire. En effet, un plan de rétablissement d'une espèce qui n'inclut pas une définition et une délimitation de son habitat essentiel n'a que peu de chance d'assurer la viabilité de cette espèce à long terme. Au provincial, une caractérisation des habitats des espèces fauniques désignées peut être décrite dans le REFMVH-faune. En revanche, à ce jour, cette caractérisation n'est faite que pour 19 des 37 espèces fauniques désignées menacées et 14 des 28 espèces désignées vulnérables. La cartographie de ces habitats, quant à elle, n'est réalisée que pour quatre espèces menacées et deux espèces vulnérables. Pour ces six espèces, 27 habitats fauniques ont été cartographiés. Dans le cas des 86 espèces végétales désignées menacées ou vulnérables, 58 habitats sont décrits dans le REFMVH-flore. Nous recommandons donc fortement que la législation québécoise incorpore clairement la notion d'habitat essentiel dans sa législation (Recommandation #4,
Encadré 3) et qu'un délai maximal soit établi pour identifier et cartographier celui-ci (Recommandation #5,
Encadré 3).
Une autre limitation majeure de la LEMV ainsi que des lois et règlements associés est qu'en matière de protection de l'habitat des espèces fauniques désignées, celle-ci ne s'applique que sur les terres du domaine de l’état. La présence d'une espèce menacée ou vulnérable dans un milieu naturel n'est pas suffisante pour empêcher la réalisation d'un projet de développement qui en détruirait l'habitat si ce milieu se trouve en terre privée. Le cas de la rainette faux-grillon de l'Ouest (
Pseudacris triseriata) illustre bien les limites de l'application de la législation québécoise. Le déclin de cette espèce s'explique par la perte d'habitat résultant de la destruction des sites de reproduction causée par le développement urbain et résidentiel, l'agriculture intensive et le drainage des terres humides saisonnières (
COSEPAC 2008). Cette espèce a été désignée vulnérable par le gouvernement du Québec en 2001 puis menacée en 2023 bien qu'elle fût désignée menacée en 2010 par le gouvernement fédéral. Quoique l'espèce bénéficie d'un statut de protection aux deux paliers gouvernementaux depuis plusieurs années, la dégradation de son habitat par le développement urbain sur la rive sud de Montréal, point déterminant de sa répartition dans le sud du Québec, s'est poursuivie. Devant l'inaction du Québec, le gouvernement fédéral a été forcé d’émettre des décrets d'urgence en 2016 (
Gouvernement du Canada 2016) à La Prairie et en 2021 à Longueuil (
Gouvernement du Canada 2023) afin de freiner la dégradation de l'habitat. Il est donc essentiel de modifier la législation québécoise afin d'améliorer la protection des habitats des espèces fauniques désignées menacées ou vulnérables en terres privées. Celles-ci occupent une large part du Québec méridional, une zone caractérisée par une plus grande biodiversité, mais qui subit également des pressions anthropiques plus fortes (recommandation #6,
Encadré 3).
Un autre aspect préoccupant de la législation québécoise concerne les amendements qui ont été apportés à la LEMV (art. 18) en 2021 pour les espèces floristiques et à la LCMF pour les espèces fauniques (art. 128.7). Ceux-ci rendent maintenant possible le versement d'une compensation financière correspondant aux sommes nécessaires à la conservation ou à l'aménagement d'un habitat floristique ou faunique de remplacement. Une telle modification avait déjà été apportée en juin 2017 à la Loi québécoise concernant la conservation des milieux humides et hydriques. Selon la volonté du gouvernement provincial, les sommes récupérées par le biais de cette mesure doivent servir à restaurer ou à aménager des milieux humides et des habitats floristiques et fauniques pour compenser les pertes encourues en cas d'autorisation de détruire certains milieux. Or, en avril dernier, dans son rapport annuel, la commissaire au développement durable du Québec a identifié plusieurs lacunes liées à la mise en œuvre de ces mesures de compensation par le MELCCFP (
Commissaire au développement durable 2023). Elle observait notamment que ce ministère ne gérait pas le programme de restauration et d'aménagement de milieux humides et hydriques de manière à compenser efficacement les pertes que ces milieux ont subies. Elle rapportait ainsi que le gouvernement du Québec avait amassé plus de 100 millions de dollars (M$) en fonds de compensation pour la destruction de milieux humides et que moins de 3 % de ce fonds (∼2.6 millions) avait été réinvesti dans la restauration ou l'aménagement de milieux humides de remplacement (
Commissaire au développement durable 2023, ch. 3, p. 91).
Au-delà des lenteurs administratives liées à la mise en œuvre de telles mesures, il n'est pas surprenant qu'il existe un retard entre la mise en place d'un fonds de compensation et l'aménagement de nouveaux milieux humides ou la restauration de milieux existants. Une telle démarche, qui vise à rétablir les fonctions écosystémiques de ces milieux et leur biodiversité, présente un niveau de difficulté élevé et il faut compter plusieurs années, voire décennies, avant d'en évaluer le succès. S'il en est ainsi pour des milieux humides, dont les caractéristiques et les usages sont généralement bien documentés, il est clair que les obstacles sont encore plus nombreux et importants et les probabilités de succès encore plus faibles lorsqu'il s'agit de reproduire ou de restaurer les habitats essentiels d'espèces rares dont la biologie est peu connue. En cas d'insuccès, lequel sera généralement constaté longtemps après la destruction des habitats, il sera impossible de revenir en arrière. D'ailleurs, rien n'indique qu'on peut réellement remplacer un habitat perdu. En effet, actuellement il n'existe pas d’évidence scientifique montrant que la création d'un habitat de remplacement permet la viabilité d'une espèce à statut précaire ou que celui-ci sera utilisé par l'espèce ciblée par cette mesure. Il apparait donc essentiel d'abroger l'article de la LEMV (art. 18) et la LCMVF (art. 128.7) autorisant le versement d'une compensation financière qui correspond aux sommes nécessaires à la conservation et à l'aménagement d'un habitat floristique ou faunique de remplacement (recommandation #7,
Encadré 3).
Le travail d'identification, de conservation et de restauration d'espèces végétales ou animales en situation précaire implique l'acquisition de connaissances fiables et bien ciblées sur leur abondance, leur répartition, leur cycle de vie ainsi que sur les facteurs d'origine naturelle et anthropique qui limitent leur viabilité. Pourtant, peu de données existent pour les espèces qui n'ont pas de valeurs socioculturelle ou économique, ce qui est le cas de beaucoup d'espèces d'invertébrés, d'algues et de champignons (
Langor 2019;
Bazzicalupo et al. 2022). En outre, les espèces rares sont souvent peu étudiées. Les comités d'experts (incluant ceux du fédéral) doivent donc rendre des avis de désignation en se basant sur peu de données. Pour certaines espèces, il n'est même pas possible de faire une évaluation de statut puisque l'information biologique nécessaire n'est pas disponible (catégorie « données insuffisantes » au COSEPAC ou à IUCN). Pourtant, une étude récente suggère que ces espèces ont une probabilité d'extinction encore plus élevée que les espèces mieux connues (
Borgelt et al. 2022). En plus, au Québec, les ressources financières et humaines allouées au rétablissement des espèces désignées sont insuffisantes, ce qui entraine des retards importants dans certaines étapes comme la cartographie des habitats ou l’élaboration de plans de rétablissement. Il est donc crucial d'accroître le soutien financier accordé à l'acquisition de données permettant d’évaluer plus efficacement la situation des espèces de tous les groupes taxinomiques, ainsi qu’à l'élaboration et à la mise en œuvre des plans de rétablissement des espèces menacées ou vulnérables au Québec (recommandation #8,
Encadré 3).
Une autre source de complexité pour la protection légale des espèces québécoises en situation précaire est le manque de correspondance entre les statuts provinciaux et fédéraux (
Encadré 2). Effectivement, il existe deux statuts de désignation au provincial, soit vulnérable et menacée (
LEMV 1989), tandis qu'il en existe trois au fédéral, c.-à-d. préoccupante, menacée et en voie de disparition (
LEP 2002;
Mooers et al. 2010). Cette absence d'uniformité mène inévitablement à une incohérence dans la désignation des espèces entre les deux paliers gouvernementaux. Il existe des raisons biologiques qui peuvent expliquer certaines disparités de statut entre ces deux paliers. Par exemple, une espèce pourrait être dans une situation plus (ou moins) favorable au Québec que dans d'autres provinces canadiennes. Toutefois, plusieurs des cas de discordance sont plutôt liés à des délais administratifs (p. ex. les cas du caribou et des chauves-souris mentionnés précédemment), au manque de concordance dans les définitions, au nombre inégal de catégories entre les deux gouvernements et à l'absence de critères quantitatifs clairs pour la désignation au Québec. Ainsi, sur 23 espèces désignées en voie de disparition au Canada en octobre 2022 et qui ont une occurrence historique au Québec, trois d'entre elles disposaient du statut vulnérable et 16 n'avaient aucun statut de protection au provincial. L'harmonisation des statuts provinciaux de désignation des espèces avec les statuts fédéraux, notamment en ajoutant un troisième statut au Québec, est souhaitable par soucis de cohérence, mais aussi pour rendre possible la coordination des efforts entre les deux paliers. En outre, il est nécessaire d'identifier des critères quantitatifs clairs pour procéder à la désignation des statuts afin de faciliter et de rendre plus robuste l'ensemble du processus de désignation, de conservation et de restauration des espèces en situation précaire au Québec (recommandation #9,
Encadré 3).